Socialiser
la richesse
Jean-Marie
Harribey
Politis, n° 872, 20 octobre 2005
Le gouvernement
français radicalise le programme libéral. Après avoir mis
en place le plan Borloo de précarisation sociale, amputé un peu
plus le droit du travail avec le contrat nouvelles embauches tout en instaurant
des contrôles et sanctions draconiens contre les chômeurs, il participe
aux enchères européennes du moins-disant fiscal. En ramenant de
sept à cinq le nombre de tranches du barème de limpôt
sur le revenu, en diminuant le taux marginal de 48,09% à 40%, en plafonnant
à 60% du revenu le montant total des impôts directs versés
par un contribuable, il amplifie le détournement de la richesse vers
les riches. La suppression de labattement forfaitaire de 20% du revenu
dont bénéficiaient les salariés avantage relativement les
contribuables dont les revenus sont issus de la rentabilité de leur patrimoine
ou bien qui ont actuellement un revenu annuel supérieur à 117
900 euros. En réduisant encore la part de limpôt progressif
dans lensemble des impôts, le gouvernement privatise un peu plus
la richesse.
Ce programme
est essentiel pour lidéologie libérale : la délégitimation
de limpôt accompagne celle de la dépense publique et des
services non marchands pour étendre la sphère capitaliste. Sa
réussite, aux yeux des classes dominantes, se jauge à cette possibilité
daccumulation supplémentaire pour elles et aussi à leur
enrichissement par le biais dun impôt moins redistributif.
Comment
restaurer une légitimité de la socialisation de la richesse ?
En sattaquant à la racine du galimatias libéral considérant
lactivité publique comme improductive. Les travailleurs employés
dans les services non marchands produisent dauthentiques valeurs dusage.
Et il faut se démarquer de lidée selon laquelle les impôts
financent les dépenses publiques, car cette affirmation est trompeuse.
Dirait-on que les acheteurs dautomobiles financent la production de celles-ci
? Non, car elle est financée par les avances de capital en investissements
et salaires, avances dont la croissance sur le plan macro-économique
est permise par la création monétaire. Les achats des consommateurs
permettent de transformer en monnaie la valeur marchande ajoutée par
le travail et les capitalistes réalisent une plus-value.
Les collectivités
publiques effectuent des dépenses : les unes sont de simples achats à
des entreprises privées (ex. : construction dune route), les autres
correspondent à une production non marchande. Sagissant de celle-ci,
les collectivités publiques, anticipant non pas des débouchés
fructueux comme les entreprises mais des besoins sociaux, investissent, embauchent
et limpulsent alors. Quel rôle joue limpôt vis-à-vis
de la production non marchande ? Il est le paiement socialisé de léducation,
la santé, la justice... Le contribuable ne « finance » pas
plus le fonctionnement de lécole ou lhôpital que lacheteur
dautomobile ne « finance » les chaînes de montage. Car
le financement est préalable à la production, que celle-ci soit
marchande ou non marchande. Et le paiement, privé ou socialisé,
lui est postérieur.
Certes,
le paiement de limpôt permet tout comme les achats privés
des consommateurs au cycle productif de se reproduire de période
en période. Mais il y a deux impensés dans lidéologie
libérale. Premièrement, ce sont les travailleurs du secteur capitaliste
et non pas les consommateurs qui créent la valeur monétaire
dont une partie sera accaparée par les capitalistes, et ce sont les travailleurs
du secteur non marchand et non pas les contribuables qui créent
la valeur monétaire quoique non marchande des services non marchands.
Deuxièmement, au sens propre, le financement désigne limpulsion
monétaire nécessaire à la production capitaliste et à
la production non marchande et doit être donc distinguée du paiement.
On comprend
facilement pourquoi les riches veulent être moins imposés : parce
quils ne veulent pas payer pour les pauvres. Mais pourquoi la politique
monétaire est-elle verrouillée par la Banque centrale européenne
et le TCE interdisait-il aux Etats demprunter auprès delle
? Les capitalistes ne veulent pas que la création monétaire finance
une production qui ne rapporterait pas un profit. Sauf si lEtat comble
ses déficits en empruntant auprès deux qui, en outre, bénéficient
de facilités de crédit bancaire pour prêter ensuite. Cest
ainsi que léquivalent de plus de 80% de limpôt sur
le revenu en France part en intérêts aux créanciers.
La richesse non marchande nest pas une ponction sur lactivité marchande, elle est un « plus » provenant dune décision publique dutiliser des forces de travail et des équipements soustraits au lucre. Elle est donc socialisée à un double titre : par la décision daffecter des capacités productives et par celle de répartir socialement la charge du paiement. Insupportable pour limaginaire bourgeois.