Retraites
: lalternative existe
par
Jean-Marie Harribey et Pierre Khalfa
Libération, 26 mai 2003
sous
le titre: "Une alternative est possible"
13
mai 2003. Dun côté, le patronat et le gouvernement soutiennent
quil ny a pas dautre choix que celui de la réforme
Raffarin-Fillon. De lautre, près de deux millions de personnes
dans la rue osent braver la sentence en affirmant quil existe une véritable
alternative.
Pour dessiner lautre choix possible, il faut simplement rappeler ce
quont reconnu tous les rapports officiels. La croissance de la
productivité permet de financer des pensions de retraite plus élevées
quelles ne le sont aujourdhui, et ce pendant plus longtemps
disait le rapport Charpin en 1999. Si lon voulait revenir à
une durée dassurance de 37,5 ans dans le secteur privé,
les besoins de financement du système de retraite seraient alourdis
de 0,3 point de PIB à lhorizon 2040 écrivait le
Conseil dorientation des retraites (COR) en 2002.
Pourquoi le gouvernement fait-il silence sur lévolution probable
de la richesse produite au cours des prochaines décennies ? Parce que,
sous la pression du Medef, il entend poursuivre la détérioration
de la part de la masse salariale (salaires directs et cotisations sociales)
au sein de la valeur ajoutée, la richesse créée dans
léconomie (le PIB), détérioration qui a déjà
atteint près de 10 points en 20 ans, ce qui représente 33 fois
plus que le coût du retour à 37,5 ans de cotisations. Il fait
le choix politique dattribuer tous les futurs gains de productivité
aux seuls détenteurs du capital. Cest lunique raison pour
laquelle lévolution démographique ne pourrait être
assurée convenablement par le système de retraites par répartition.
Derrière
ce cynisme lincohérence des choix gouvernementaux est patente.
Allonger la durée de cotisations naugmentera en rien le taux
dactivité de la population tant quil ny aura 2,5
millions de sans emploi. Cela ne fera quaggraver le chômage et
particulièrement celui des jeunes. Ou bien, dans un cercle vicieux,
cela ne pourra que diminuer considérablement le niveau des retraites
parce quil ne sera pas possible de travailler assez longtemps pour avoir
une retraite à taux plein dans une économie détériorée
par la pauvreté du plus grand nombre.
Il
ny a pas de contrat social possible sans une participation équitable
de tous les revenus au financement de la protection sociale. Or lhypothèse
inavouée du projet gouvernement est que la part de la masse salariale
doit rester figée à son niveau historiquement bas actuel (un
peu moins de 60% du PIB) et quen aucun cas celle-ci ne pourra bénéficier
de laccroissement futur de la richesse produite. Il est ainsi a priori
exclu de débattre de la possibilité d'élargissement de
l'assiette des cotisations sociales à l'ensemble de la valeur ajoutée.
Il est hors de question d'évoquer même la croissance possible
de la masse salariale que ce soit par le biais dune simple hausse des
salaires parallèle à la productivité (ce qui ferait progresser
automatiquement les cotisations) ou par le biais dune hausse du taux
de cotisations patronales pour amener les profits à contribuer au financement
des retraites.
Là
est le nud du problème. La rue, qui ne gouverne pas mais fait
le progrès social, a obligé le gouvernement à répéter
quil ne voulait pas aggraver les prélèvements sur
léconomie . Nouvelle incohérence : les primes versées
aux fonds de pension tapis dans lombre de la réforme Raffarin-Fillon
ne seraient-elles pas des prélèvements rendus obligatoires,
au moins pour ceux qui en ont les moyens, par la baisse des retraites par
répartition ?
Mais
ce nest pas le plus important. Oui ou non, peut-on augmenter les ressources
destinées à financer les retraites ? Le COR a indiqué
qu'il faudrait en 2040 consacrer aux retraites 18,5 % du revenu national contre
12,5 % aujourd'hui pour maintenir le niveau actuel des pensions par rapport
aux salaires et revenir sur les mesures Balladur de 1993. Est-ce insupportable
alors que dans le même temps le PIB aura doublé sur la base d'une
hypothèse de croissance modérée de 1,75% par an ?
Laugmentation
des cotisations sociales dessine une alternative qui permette une réforme
juste des retraites. Le COR a évalué que, pour ne pas amputer
le niveau des retraites ni rallonger la durée de cotisations, le taux
de cotisation devrait augmenter de 15 points lissés sur 40 ans, soit
0,375 point par an. Scénario catastrophe pour les entreprises ? Non,
car cette augmentation aurait des effets neutres sur la compétitivité
des entreprises si elle était compensée par une baisse des dividendes
ou des profits improductifs placés sur les marchés financiers
qui ont explosé ces dernières années alors que dans le
même temps l'investissement stagnait.
Lalternative
est simple. Ou bien la société fait le choix de lamputation
des retraites de 20% en 2008 et de 30% en 2012, de la cavalcade des profits,
de la servitude prolongée au travail jusquà un âge
de plus en plus avancé et, derrière tout cela, le risque du
chômage. Ou bien la société fait le choix démocratique
de consacrer une part progressivement de plus en plus grande de ses richesses
à la prise en charge de la vieillesse par des retraites décentes
pour tous.
On comprend dès lors lenjeu de la revendication phare exprimée par les salariés dans la rue le 1er février, le 3 avril et les 1er et 13 mai : 37,5 ans de cotisations pour tous. Elle concentre en elle tous les refus de la régression sociale : refus de devoir travailler davantage alors que la productivité progresse constamment et que le chômage ne recule pas, refus de voir les retraites amputées parce quil sera de plus en difficile de satisfaire aux exigences requises de durée de cotisations (40, 42, puis 45 ans, etc.), refus de voir nos enfants et petits-enfants retrouver la condition dont avaient réussi à sortir nos grands-parents, refus de voir la société se plier aux diktats dun capitalisme financier de plus en plus arrogant, cynique et prédateur, refus de voir les politiques libérales semer la misère avec obstination. Le gouvernement ne veut pas entendre la raison, il entendra alors la colère. Et les raisons de la colère ne manquent pas.
Jean-Marie Harribey (économiste) et Pierre Khalfa
(Union syndicale G10 Solidaires) sont membres de la Fondation
Copernic
et du Conseil scientifique d'Attac.