Les
retraites à quel régime ?
Jean-Marie
Harribey
Sud-Ouest
Dimanche, 26 janvier 2003
La population
française vieillit lentement mais sûrement. Le rapport du nombre
de jeunes et vieux à celui des actifs va saccroître denviron
un quart en quarante ans. Celui des seuls retraités aux actifs augmentera
des trois quarts. Mais, même avec un taux de croissance modéré
de 1,75% par an, la richesse produite mesurée par le PIB aura doublé
en 2040. On pourra largement nourrir, loger et soigner tout le monde. Où
est le problème alors ?
Nous vivons depuis deux décennies une situation délétère
: parce que le chômage et la précarité contiennent les salaires,
tous les gains de la productivité du travail sont accaparés par
les revenus du capital, au point que la part de la masse salariale a régressé
de près de 10 points dans le PIB. Les bénéficiaires, actionnaires,
titulaires de stocks options, directions dentreprises et de groupes financiers,
entendent bien faire durer cette situation. Aussi convient-il à leurs
yeux de reporter sur les salariés le poids du vieillissement démographique.
Puisque la réforme Balladur de 1993 a fixé la durée de
cotisations des salariés du privé à 40 ans, le gouvernement
et le Medef veulent contraindre les fonctionnaires et les agents des entreprises
publiques à la même règle pour, ensuite, se servir de ce
tremplin afin daugmenter de nouveau la durée à 42 ou 45
ans dans le privé. Où sarrêtera lescalade ?
Près de trois millions de chômeurs ne suffisent-ils pas à
la tranquillité des nantis ?
Les projets en lair sont de placer les salariés devant le choix
suivant : partir à la retraite à 60 ans mais avec une baisse de
leur pension dau moins 20%, ou bien garder le même niveau mais en
travaillant jusquà 65 ou 70 ans. Ce nest pas la retraite
à la carte, cest le régime au pain sec, sans même
avoir leau claire. M.M. Raffarin et Seillière sen défendent
et, pour preuve de leur bonne volonté, suggèrent dintroduire
un complément de retraite par capitalisation. Mais cette dernière
est une illusion car elle naccroîtra en rien la richesse disponible
tout en répartissant celle-ci de manière encore plus inégalitaire
quaujourdhui. De plus, elle fait courir le risque de confier les
retraites aux caprices de la Bourse, voire damplifier ces derniers si
les milliards des retraites sont canalisés vers les circuits financiers
spéculateurs.
Il nest donc pas dautre solution sérieuse que le retour pour
tous à 37,5 ans de cotisations (dont le coût, calculé par
le Conseil dorientation des retraites, est seulement de 0,3 point de PIB)
et le droit à la retraite à 60 ans sur la base de 75% du salaire
antérieur. Comment peut-on financer cela ? En restaurant la règle
dune répartition équitable des gains de productivité
de façon à retrouver la part perdue par la masse salariale : cest
réalisable si le taux de cotisations patronales augmente au fur et à
mesure des besoins démographiques. Depuis le tournant de la rigueur au
début des années 80, tous les gains de productivité sont
allés nourrir les revenus financiers. Il est temps quils soient
utilisés prioritairement pour répondre aux besoins sociaux car
le moment est venu de mettre fin à la modération salariale et
à la galopade des profits.
Y a-t-il un risque de fragiliser les entreprises dans le cadre de la concurrence
européenne, à laquelle notre économie est la plus sensible
? Non car tous les pays européens connaissent la même évolution
démographique, voire plus marquée encore. Tous ont connu la même
dégradation sociale. Tous sont donc face à la même alternative
: poursuivre la libéralisation qui signifie enrichissement des riches
et appauvrissement des pauvres ou bien sengager sur la voie dune
autre Europe, résolument sociale. Le Forum social européen de
Florence en novembre dernier avait indiqué la direction. Celui de Porto
Alegre la confirme pour le monde entier. Les salariés et les retraités
français le répèteront en manifestant samedi 1er février
: des retraites solidaires sont nécessaires et possibles.