L'enjeu de la lute pour la recherche

Jean-Marie Harribey

Le Passant Ordinaire, n° 48, avril-juin 2004 (1)

 

Quel est l’enjeu de l’affrontement entre les chercheurs et le gouvernement qui ne rêve que de coupes sombres ? Le recul de la recherche publique et son asservissement à des fins mercantiles à cause de la place grandissante prise par les financements privés s’inscrivent dans le mouvement de libéralisation qui atteint aujourd’hui l’ensemble de la sphère de la société restée jusque-là hors marché : services publics, protection sociale, culture et recherche. Dès lors que le savoir, les découvertes et inventions deviennent les éléments moteurs de la création de richesses, le capitalisme n’a de cesse que d’étendre à l’infini le champ de la propriété privée. Tel est le sens de la pression exercée par les multinationales au sein de l’Organisation mondiale du commerce pour obtenir le droit de déposer des brevets sur tout le patrimoine naturel et scientifique de l’humanité. Plus ce droit progresse, plus il entre en contradiction avec l’existence d’une recherche publique s’engageant sur des objectifs définis par la société.
La lutte pour sauver la recherche et éviter sa marchandisation comporte donc plusieurs dimensions.
Elle exprime la nécessité de refonder une relation entre la science et la société pour relégitimer la première à une époque où la maîtrise des processus biologiques pose des questions éthiques redoutables et où la définition du progrès ne va plus de soi.
Elle révèle le caractère de bien public de la connaissance qui doit absolument échapper à la privatisation pour deux raisons. La première est une affaire de principe : la connaissance est un héritage sans cesse agrandi de l’histoire humaine et il doit être transmis comme tel. La deuxième raison relève d’une exigence d’efficacité : la connaissance grandit quand elle est partagée et construite en coopération ; au contraire, elle s’étiole, voire disparaît quand elle est accaparée.

(1) Sous le titre: "Raffarin nous cherchait, il nous a trouvés"