De
la politique
Jean-Marie
Harribey
Politis, n° 802, 20 mai 2004
Depuis les
premières contestations de lOMC et la revendication dune
taxation des transactions de change en 1999, le mouvement alter-mondialiste
a grandi : il est devenu politique, au sens fort de ce terme, cest-à-dire
visant à transformer en profondeur la société. Il a su
le faire en évitant deux écueils. Le premier est de se croire
en apesanteur politique, ni de droite ni de gauche, transcendant le clivage
fondamental entre le capital avide de rentabilité et le travail subissant
lexploitation. Le second écueil est symétrique du premier
: confondre le mouvement social avec lexpression des partis politiques,
candidats au pouvoir et se présentant aux élections. La première
posture serait mystificatrice et la seconde renouerait avec les modèles
de courroie de transmission ayant failli au cours du siècle dernier.
Entre les deux, la ligne de crête est difficile à tenir.
Il est vraisemblable
que la transformation de la société nécessite une articulation
inédite entre le mouvement social et laction politique. Ni courroie
de transmission, ni passage de relais (lexpression « débouché
politique » traduit limpasse de cette division du travail héritée
du passé), mais une réponse nouvelle pour allier le but (solidarité
et démocratie sociale) et le moyen (participation de tous à lélaboration
et à la mise en uvre du projet). Le mouvement alter-mondialiste
est confronté aujourdhui à cette exigence : il lui faut
définir un nouveau rapport au politique, cest-à-dire à
la gestion de la cité, une gestion qui soit progressiste et non pas conservatrice.
Toute tentative
de réconcilier les citoyens avec la politique en abandonnant les pratiques
ayant accrédité lidée que la politique était
une affaire détats-majors cultivant le secret et tenant à
distance le peuple des décisions le concernant, serait la bienvenue.
Parce quelle permettrait dune part au mouvement alter-mondialiste
de construire son autonomie, et dinstaurer dautre part une réelle
complémentarité, faite de respect mutuel, entre les forces sociales
et politiques qui lutteraient contre le néo-libéralisme. Linitiative
des listes « 100% alter-mondialistes » pour les élections
européennes relève-t-elle dune telle démarche ? Elle
a pour mérite de rappeler que lon ne peut délaisser la question
politique, mais, à cause de la manière opaque dont elle a surgi,
elle risque dhypothéquer la possibilité de voir celle-ci
réellement prise en charge un jour par tous, ce qui est lenjeu
de la refondation de la démocratie.
Il faut
dire que lenvironnement politique actuel nest pas propice à
une avancée dans ce sens : un parti socialiste ne parvenant pas à
rompre avec laccompagnement des transformations libérales, des
Verts tiraillés entre une Europe sociale et écologique et les
sirènes libérales, un parti communiste renonçant à
souvrir véritablement, une extrême-gauche anti-capitaliste
mais dotée dune stratégie stérile. Dans ce contexte,
des listes dites alter-mondialistes ne peuvent quaccentuer les fissures
dun front anti-libéral encore dans les limbes et en éparpiller
les forces.
Pourtant,
les termes dun large accord pour une politique résolument anti-libérale
sont aujourdhui posés et, semble-t-il, partagés par un grand
nombre : le plein emploi de qualité et non le chômage pour les
uns et laggravation des conditions de travail pour les autres ; la protection
sociale fondée sur la solidarité et non à plusieurs vitesses
; les ressources naturelles, les services publics, la culture et le savoir soustraits
à la marchandisation ; le respect de normes écologiques au lieu
du gaspillage et du productivisme ; la coopération entre les peuples
à la place de lasservissement à des règles imposées
par les multinationales.
Il ne manque
que la stratégie pour fédérer ces aspirations en une réponse
politique cohérente et démocratique qui soit autre chose quune
affaire de boutique ou la simple mise en scène dun coup médiatique.
Les militants alter-mondialistes conscients de la nécessité dune
réponse politique ont mieux à faire : réunir les conditions
dun rassemblement anti-libéral respectueux de toutes ses composantes
car, sil était construit collectivement, ses objectifs pourraient
être intériorisés par chacun.
A léchelle dune vie individuelle, personne ne peut espérer voir laboutissement de ses efforts pour atteindre l « alter-monde ». Raison de plus de penser que la fin est déjà dans les moyens. De lart et la manière en politique ! Est-ce que cela a quelque chose à voir avec léconomie ? Peut-être Si nous pouvions faire léconomie de quelques erreurs