L’incendie libéral est déclaré

Jean-Marie Harribey

Sud-Ouest, 25 mai 2002


La finance est en train de détruire la société parce que l’exigence d’une rentabilité du capital sans cesse croissante ne peut être satisfaite qu’au prix du sacrifice de l’emploi par la multiplication des plans dits sociaux, d’une précarisation du travail par la flexibilité maximum et d’une progression des salaires toujours inférieure à celle de la productivité. Le MEDEF s’est opposé à la réduction du temps de travail car il savait que celle-ci, lorsqu’elle est menée sans aggraver les conditions de travail, signifie une récupération par les salariés des gains de productivité qu’ils ont réalisés. Le patronat et le nouveau gouvernement proposent maintenant aux salariés un pseudo choix entre réduire leur temps de travail ou gagner davantage en effectuant des heures supplémentaires : ils excluent donc toute progression des salaires de base alors que la productivité augmente et va nourrir seulement les profits.

L’introduction de fonds de pension dans le financement des retraites dissout les solidarités bâties autour d’une protection sociale collective. Ses partisans tentent d’accréditer l’idée qu’il existerait dorénavant un consensus pour compléter les régimes actuels par la capitalisation individuelle. C’est un mensonge grossier et cynique. La finance ne produit rien. L’augmentation prévue de la proportion d’inactifs par rapport aux actifs (25% dans les 40 prochaines années) et celle de la proportion des retraités par rapport aux actifs (75% en 40 ans) seront largement couvertes par la hausse de la productivité des actifs (100% environ en 40 ans), à condition que cette dernière soit équitablement répartie et que le chômage recule. Il n’est donc pas nécessaire d’augmenter la durée de cotisations ni d’abaisser le niveau des pensions sauf pour permettre aux profits de caracoler. Et, en aucune manière, la capitalisation ne peut être une solution collective face au vieillissement démographique. En revanche, elle sera un problème collectif mondial : ruine des retraités s’il y a faillite boursière ou accentuation des inégalités s’il n’y a pas de faillite boursière.

La privatisation des services publics tels que l’éducation, la santé, les transports et l’énergie vise à élargir la sphère capitaliste. Des pans entiers de la société risquent d’être gagnés par la logique de la rentabilité primant sur le lien social. On voit le délabrement des systèmes de soins et de chemins de fer anglais et de la distribution de l’électricité en Californie auquel a conduit la libéralisation. Un avenir encore plus effrayant se profile si les puissances financières réussissent à s’approprier toutes les connaissances scientifiques et ressources naturelles par le biais de dépôts de brevets qui interdiraient à tout citoyen du monde de les utiliser gratuitement à des fins d’alimentation, d’éducation ou de santé. De nombreuses maladies dans les pays pauvres ne peuvent être éradiquées parce que le capitalisme est incapable de satisfaire des besoins non solvables. Qu’en sera-t-il demain si tout est privatisé ?

Depuis trente ans, la finance détruit la société à petit feu. L’incendie libéral est aujourd’hui déclaré. Face à lui, le contre-feu de la mobilisation salariale et citoyenne est seul à même de mettre un coup d’arrêt à la marchandisation du monde et de reconstruire ce que le capitalisme a besoin de démolir pour se développer : la solidarité. Les salariés et les citoyens engagés dans une lutte planétaire contre le règne du profit disent tout haut ce que dissimulent trop de politiques : la première des insécurités et la mère de toutes les autres, c’est l’insécurité sociale.