Retraites: Réponse au professeur Saint-Etienne

Jean-Marie Harribey

Sud-Ouest Dimanche, 2 avril 1995

L’entretien accordé par le professeur Christian Saint-Etienne à Sud-Ouest Dimanche du 26 mars 1995 est habile parce que, derrière un fait d’évidence (la part des retraites dans le PIB), il énonce tous les poncifs servant à justifier le passage à un système par capitalisation, ne serait-ce que partiel. Peut-on faire remarquer qu’il contient plusieurs erreurs de raisonnement?

1. Les plus de 60 ans reçoivent 12,5% du PIB sous forme de prestations au titre des retraites par répartition et 4,5% au titre de la santé, soit les 17% indiqués par M. Saint-Etienne, mais il ne dit pas qu’ils représentent ... 20% de la population.

2. Quel que soit le système de retraite, les pensions représentent toujours une partie du produit national du moment et non pas une partie du produit national d’il y a 20 ou 30 ans disparu depuis longtemps. Le revenu national est un flux et non un stock. On ne finance donc jamais sa propre retraite. Il n’y a pas de congélateur de revenus. Un capital placé aujourd’hui ne grossira demain que si un travail est effectué demain. Où se situe la différence entre le système par répartition et celui par capitalisation? Le second système institue des droits de prélèvement sur le revenu national futur différents et donc plus inégaux selon les individus que le premier; l’accès à ces droits se faisant par le biais de capacités d’épargne différentes, les inégalités d’aujourd’hui préparant ou aggravant celles de demain. En aucun cas ce système ne transgresse la règle élémentaire suivante: les actifs du moment font toujours vivre par leur activité productive les inactifs du moment, l’épargne d’aujourd’hui est utilisée à des fins productives dès aujourd’hui et sa récupération par les épargnants se fera sur le compte de la production de demain réalisée par les actifs de demain.

3. M. Saint-Etienne s’indigne des transferts inter-générationnels actuels et futurs et oppose tous les actifs d’aujourd’hui à tous les inactifs d’aujourd’hui et tous les actifs de demain à tous les inactifs de demain. Il raisonne en termes de revenu moyen des actifs et des inactifs. Or, qu’y a-t-il de commun entre le smicard actif et les directeurs actifs à 1 million de francs par mois? Par contre il y a beaucoup de ressemblances entre le smicard actif et le retraité ancien smicard d’un côté et entre le cadre supérieur actif et le retraité ancien cadre supérieur de l’autre. La modification des transferts à envisager n’est donc pas entre générations mais entre classes sociales. D’ailleurs deux contradictions de M. Saint-Etienne le prouvent. D’abord, il s’insurge contre les taux d’intérêt élevés. Mais qui bénéficie des hauts taux d’intérêt sinon les détenteurs de capitaux importants? Qui en pâtit? Certainement pas tous les actifs. Ensuite, ceux qui souscriraient à des fonds de pension dont M. Saint-Etienne se fait le partisan ne souhaiteraient qu’une chose: des taux d’intérêt élevés.

4. Comment ne pas s’étonner en lisant que M. Saint-Etienne critique les 12,5% du PIB que reçoivent aujourd’hui les retraités pour proposer qu’à l’avenir ...12% leur soient garantis pour 2/3 par répartition et 1/3 par capitalisation? Il n’y a qu’une seule explication: il souhaite que ceux qui aujourd’hui ont des revenus élevés continuent d’en jouir lorsqu’ils seront retraités. Là encore, deux contradictions. Que M. Saint-Etienne se rassure, ces catégories ont moins à craindre que les autres. Toutefois, qui peut assurer qu’à l’avenir les riches épargnants d’aujourd’hui ne verront pas leurs actifs dévalorisés soit par l’inflation, soit par des crises, soit parce que les nantis auraient du céder quelque chose face à la montée de la pauvreté et de la précarité?